Porec, Yankton, tirs croisés.

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Porec, Yankton, tirs croisés.

En début de saison, l’inquiétude était bien présente quant au contexte sanitaire et tout le foin associé surtout lorsqu’il est question de voyager à l’étranger. Je laissais « place libre » pour la coupe du monde de Guatemala, et je n’étais pas au niveau pour les coupes du monde suivantes par manque d’engagement au quotidien sur les entraînements, il était difficile de pouvoir se projeter. D’ailleurs je l’avais écris, quelque peu agacé par le contexte et la façon dont nous étions « géré » et mis de côté. Puis les confinements ont cessé et l’activité professionnelle a pu reprendre dans de meilleures conditions. Cela a clairement relancé ma machine et j’ai recommencé à vivre au rythme d’une itinérance programmée, à l’entraînement soutenu et avec des objectifs clairs. Après les médailles d’or décrochées aux championnats de France FITA et campagne, mon plan de reprise me portait jusqu’aux Europe campagne et mondiaux FITA. Encore une belle épopée, mais à quel prix ?

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Une semaine après Sémézanges au retour des France de tir en campagne, je partais pour un stage de préparation à la sélection FITA à l’INSEP. D’aucun sait que j’affectionne particulièrement cet endroit, mais il fallait bien en découdre avec ma préparation avec un peu de confrontation avec les coéquipiers. Pour le tir à plat et en prévision d’une sélection venteuse à Saint-Avertin, et d’une compétition mondiale tout aussi venteuse à Yankton USA, ma préparation me poussait à parfaire mon utilisation d’un décocheur à pouce par temps calme comme par temps rock n’roll. Cela s’inscrit également dans un programme de développement de futurs produits, l’un ne va pas sans l’autre dans cette cervelle connectée en permanence.

A Paris, durant trois jours, nous nous sommes tirés la bourre et de bonnes choses se sont produites comme un 714 et 43X, une série de matchs à 149 points, le tout réalisé sans vendre mon corps et mon âme au diable mais avec une dépense d’énergie acceptable pour tenir lors de conditions plus difficiles. Touch n’ go maison le temps d’une nuit avant de repartir à Challes-les-Eaux pour le stage final de préparation au championnat d’Europe de tir en campagne.

IMG 3527Et oui, car si tout restait à prouver en FITA, le contrat de confiance a été conclu avec la fédération pour Porec, Croatie, depuis début juillet déjà. Je retrouvais donc l’ensemble de l’équipe de France parcours, en croisant les 3Distes, pour trois jours de Suellet, le parcours permanent des archers de la Roche à Barby, Savoie (chez le chasseur de lapin, Sylvain). Je laissais mon INVICTA pour saisir mon ALTUS, parfait pour le parcours. Et nous avons arpenté ces chemins tortueux et anguleux, en tirant des cibles difficiles, les pieds tous tordus, sous une chaleur accablante, un peu de vent parfois. Même le Dahut prenait des selfies de sa gueule éclatée de rire, avec nous en fond, en train de se dire que nous étions de grands malades à aller chercher de telles situations… Fin de stage, les cuissots bien cuits, les épaules écarlates, l’arc et ses réglages au clair. Ainsi débute l’attente de la compétition avec l’entretien de tout ce qui a été mis en place, et ce n’est pas le plus évident dans une préparation inter ;-)

Vint la sélection pour les championnats du monde FITA à Saint-Avertin, oui encore. La salle est réellement superbe, le pas de tir extérieur doit être sympa lui aussi, celui qui est abrité confort + à l’abri de cet habituel et permanent vent de travers. C’est connu, c’est physique, c’est pénible, mais c’est comme ça. Trouver un terrain venteux est facile, en trouver un « à perf » l’est beaucoup moins. Je pense que nous devrions revenir un peu vers les bonnes conditions de tir à perf, j’en reparle plus tard en croisant les tirs. Nous voilà donc lancé dans cette course à l’équipe de France pour le Saint Graal de l’arc à poulies, les championnats du monde extérieurs qui se dérouleront à Yankton, Dakota du Sud, baptisé « le trou du cul de l’Amérique » par les autochtones themselves. Ce qui n’est pas forcément péjoratif, mais c’est vrai que cet endroit est… particulier.

Restons en France et ne nous projetons pas. Le vent est annoncé pour deux jours de sélection avec un premier départ en deux séries à 50m, puis un deuxième départ l’après-midi du jour 1. Le jour 2 est une série de sept matchs de poule suivis d’un tournoi pour les huit premiers archers. Tous les points se cumulent, les matchs rapportent des points bonus en cas de victoire. Je répète, tous les points se cumulent, ce qui veut dire que, même si le match semble perdu, il faut continuer à fond pour ne pas perdre de précieux points pour le classement général. 

IMG 3551Premier départ, tout va bien dans mon tir et je colle au trio de tête jusqu’à la dernière volée de la première série quand je cherche une flèche « normale » dans le 10 ou dans ce coin là et ne la vois pas. Non, elle est dans le 6 bas. What ? Oh ! Une plume s’est décollée, le truc qui ne m’arrive jamais et qui m’arrive ce jour là, gé-nial. Bon ça m’agace mais je remonte sur le cheval et je refais mon retard sur la deuxième série après un bon gros check de mes plumes. Ca revient, c’est chaud patate mais ça revient, nous tirons la dernière volée de la deuxième et dernière série de la matinée et tout s’écroule lorsque je vois cette fois une autre flèche qui se plante en dehors du blason en bas de ma cible, et il s’agit bien de ma flèche, empennée de deux plumes seulement. Cette fois je ne perdais pas 4 points, mais 10 d’un coup. Quatorze points amputés à mon score sur un seul départ, ouch, j’ai eu mal, vraiment. 

Alors on peut se moquer car mon épisode YouTube sur la colle est assez marrant lorsqu’il s’agit de ne pas en mettre DU TOUT sur un noeud d’encochage ou de Dloop, et j’insiste. Sauf que pour fixer une plume il faut bel et bien en mettre, de la colle. On s’entraîne, on dépense de l’argent, beaucoup, on s’acharne dans le temps et parfois nous prenons les mauvaises directions qui font que la compétition ne se déroule pas comme prévu et nous devons l’accepter et nous remettre en cause. Mais cette fois il n’est pas question de ça, tout allait bien et très bien même, de quoi nourrir des ambitions certaines sur la sélection d’une part, et d’autre part sur la façon dont allait se dérouler le championnat du monde ensuite. C’est un pépin matos, je passe un temps fou à tout refaire, retaper, vérifier en amont pour ce genre de chose n’arrive pas. Je déteste empenner des flèches et j’ai cette hantise de voir une plume se décoller au mauvais moment, alors j’y passe encore plus de temps pour que cela n’arrive jamais. Et voilà que ça arrive, sur l’objet pour lequel je n’ai aucun contrôle, aucun moyen de contrevenir à ce pépin avant qu’il ne se produise et ne prononce sa sentence.

Bon c’est cuit, je rentre. Je pars maintenant. De toute façon « tu as quasiment quinze pions de retard tout comme à la sélection précédente et tu sais ce que ça va faire, l’écart restera et tu finiras premier des non sélectionnés ». Calimero sort de ce corps steuplé, dégage un peu pour voir, ah oui c’est mieux maintenant et on remonte encore une fois sur le cheval. Fin de la journée, c’est le moment de désamorcer pour revenir le lendemain en forme. 

Deuxième jour, ce sont les matchs et le goal-average qui comptent. Et ça matche dur. Les conditions ne sont pas si mauvaises, ce n’est pas la tempête, et nous avons des temps de calme. J’ai mis un point d’honneur à ne pas faire de bourde même si le match n’était pas à mon avantage. Je perds les deux premiers matchs d’un point et je remporte les cinq suivants. Je gagne le sixième match d’affilée pour ma place en demie finale lors du tournoi de clôture. Je perds la demie contre un Adrien instoppable et je rencontre Jean-Philippe pour terminer sur un barrage à 149 points, que je perds sur un 10 à X. Je termine toutefois avec le troisième score de la sélection, dix points derrière les ex-aequo de tête. Je suis heureux d’avoir tenu le coup, ce n’était pas un très bon moment à passer.

IMG 3588Le téléphone a sonné le surlendemain pour m’annoncer que je partais pour mon septième championnat du monde de rang. Fierté, soulagement, ambition, j’ai une pensée affectueuse pour les amis qui n’ont pas pu trouver leur place parmi cette équipe malgré la bagarre et l’investissement que je sais immense. Je suis désormais sélectionné et je porte la responsabilité de les honorer en plus de l’opportunité de m’illustrer sur le plateau mondial. C’est ce qui nous fait progresser, cet esprit d’équipe, ce groupe.

J’ai mis quelques jours à me remettre de cette sélection, comme toutes les sélections auxquelles j’ai pris part d’ailleurs. A chaque fois, c’est un stage commando qui nous attend. Derrière, il faut remettre de l’ordre dans le corps, l’esprit et le matériel. Sinon, c’est la blessure physique, psy, ou la casse matos. C’est la réalité, et ce n’est pas surfait, non. J’ai posé l’arc FITA sans le retoucher, sauf nettoyage et maintenance générale. J’ai monté des empennages neufs, avec de la colle neuve et encore plus d’attention et de minutie. Puis j’ai repris le chemin des bois et mon ALTUS. Dans moins d’une semaine, je décollerai pour la Croatie, tout s’enchaîne et c’est super cool.

IMG 3602Ce n’est pas la première fois que je vais à Porec, ce village balnéaire d’Adriatique vraiment très agréable. Je sais que nous allons être bien, bonne météo avec un peu de vent parfois, un peu d’humidité, comme tout lieu en bord de mer Méditerranée. Dix ans que je n’y avais pas mis les pieds, j’ai des souvenirs de coupes du monde 4 distances et 70m ici. Ca ne me rajeunit pas l’affaire, mais je m’en fiche pas mal, je suis devenu une autre personne et je préfère ce que je vis maintenant à ce que j’ai vécu avant, et je l’apprécie d’autant plus.

Un premier vol pour Paris, un deuxième pour Zagreb, ça fait drôle d’entendre à nouveau « veuillez relever votre tablette et le dossier de votre fauteuil, placez votre sac sous le siège devant vous et retirez vos écouteurs, nous allons décoller ». C’est cool de sentir le dos qui s’enfonce dans le siège à la poussée des réacteurs, banzaïïïïïïïïïï !!!

Quelques heures de plus dans le bus et nous voici à destination pour une semaine de tir en campagne international. Tout se fait à pieds depuis l’hôtel jusqu’au terrain, puis du terrain à la terrasse du café en bord de mer pour échanger du bon temps entre passionnés, se raconter la journée et entrevoir la suivante. On reprend les bonnes habitudes avec le contrôle du matériel, l’entraînement officiel qui est situé sur un terrain de foot stabilisé, plat. Il sera à l’image de ce championnat, plat, sauf une poignée de cibles, tout était à plat.

IMG 3639En international, le format n’est pas un 12/12 classique comme nous connaissons en France. Nous tirons d’abord un parcours de 24 cibles inconnues, puis 24 connues le lendemain pour les qualifications. Les deux premiers classés sont automatiquement qualifiés pour les demies finales. Premier jour, les inconnues, tout campagnard sait que les cibles dont les distances sont à trouver une fois au piquet sont plus courtes que les distances connues. Elles sont toujours contenues dans une fourchette de cinq à vingt mètres d’incertitude. Sur l’ensemble du parcours, toutes ces distances étaient dans la fourchette courte, à quelques exceptions près, et à plat ou presque surtout en comparaison des stages et sélections commandos que nous avions connu jusqu’à présent avant d’en arriver là. Je ne commets aucune erreur de tir sauf pour les blasons de 80, se trouvant entre 35 et 55 mètres, pour lesquelles j’avais une constante de 5 mètres en trop me coûtant quatre flèches dans le 4 à midi. La feuille de marque rendue est à 418 points en fin de journée malgré ces fautes d’estimation. La gagne est à 424, je suis bien classé et content de ce tir. 

A cet instant, je me dis qu’il manque une étape à la préparation réalisée en France sur des parcours difficiles uniquement, et que, si cette journée était en distance courte, facile, à plat, le lendemain allait de toute manière être bien plus difficile aussi dans la cervelle. Et oui, les distances connues sont de facto plus éloignées, et si les inconnues sont courtes, cela marque d’autant plus l’écart entre les deux journées et la façon de les aborder. Il ne fallait donc pas trop prendre confiance avec un tir libéré pour garder de la précision à longue distance avec un tir posé, attentif et mesuré. Un autre parcours, un autre lieu, et toujours aussi plat. Sur une bonne partie du parcours dans un couloir assez large et venteux, nous avons enchaîné les cibles à 60 mètres, gaz25, birdie20, gaz30, birdie20, gaz30, 60 à 45 mètres… Ce passage fut épique et vraiment difficile, surtout en revenant de la veille où les gazinières ne se trouvaient jamais à plus de vingt mètres, ou bien les birdies à plus de 12 mètres en général. Donc ça pique vraiment, et nous sentions vraiment la longueur de la distance. Plus le fait de tirer à plat avec des snipers dans le peloton, mon expérience de tireur en salle et FITA m’aura définitivement été d’un grand secours. Cette journée était plus psychologique que technique, ou autre chose.

IMG 3694Et pour cette raison, il me manquait une chose essentielle dans ma préparation, tout comme ce fut le cas en FITA : une recherche de performance maximale dans d’excellentes conditions en FITA sur un terrain « à perf », et à plat et dans les bois sans vent avec du bon pas de tir pour habituer le corps et l’esprit à taper du parfait tout le temps jusqu’à ce que l’exceptionnel devienne l’habituel. C’est en m’entraînant dans les meilleures conditions que j’ai le mieux réussi au zenith de ma carrière, et je ne suis pas un cas isolé. Les cadres de la fédération ont été une nouvelle fois sensibilisé à cette demande et nous souhaitons que cela soit pris en considération pour les futures échéances. Les confrontations au sein d’une équipe sont formatrices, et c’est un programme connu qui trouve sa limite devant une adversité plus coriace que celle du niveau de l’équipe de France. En revanche, si l’adversaire devient la perfection avec toutes les conditions réunies pour aller la défier (Style Vegas par exemple), la progression devient réelle, mesurable et porteuse à terme.

Ce deuxième jour de cibles connues fut difficile, le niveau de performance des concurrents était très haut, un petit vent rendait les petites cibles éloignées vraiment épiques et stressantes, et le delta entre la facilité de la veille et la distance allongée du jour était réellement important. Un Mike Schloesser était à 214 sur 216 à la moitié… c’est complètement fou !!! J’ai passé deux jours dans le peloton du triple champion d’Europe de la discipline, plusieurs fois médaillé de la prestigieuse Redding, Domagoj Buden. Un gars extra, c’est vraiment un chic type ce Dom, en plus d’être talentueux. Il nous a planté des 18 sur les deux birdies 20 dans le vent, de toute beauté… Je me suis régalé à partager ces moments d’archers avec de grands spécialistes de la discipline pendant ces deux jours avant de revenir au format match.

IMG 3693Les matchs sont disputés par poule, en remontada « shoot up ». Cela veut dire que l’archer le mieux classé attend que sa poule finisse de s’affronter avant de rentrer en lice. C’est l’inconvénient de ce format, l’archer le mieux classé attaque à froid alors que le vainqueur précédent à l’ascendant psy et il est chaud.  Les vainqueurs des quatre poules se rencontrent ensuite pour qu’il n’en reste que deux à l’issue d’un seul match de six cibles. Ces deux archers tireront donc contre les deux premiers des qualifications en demie finale.

Je remporte mon premier match avec 101 points, ce qui était un bon score pour le terrain, les cibles, et les conditions (petit vent joueur). J’étais un peu bas en cible, je majorais tout d’un mètre pour la sécu. Puis j’accède au match des vainqueurs de poule pour tenter la demie finale. Je produisais un beau tir à l’arc mais toujours un peu bas. Est-ce moi un peu trop prudent ? Est-ce la mesure de distance qui diffère par rapport à mon échelle ? Je majore déjà d’un mètre, donc j’ai continué à tirer sans changement  mais avec l’assurance de lâcher vraiment pleine balle. Et je restais bas, je réglais à la deuxième flèche pour faire 6 et la troisième ne choppait pas le cordon en bas. Match à 101 encore, ce qui est bien, mais qui ne suffira pas contre l’italien Bruno qui n’aura pas tiré moins de 104 points de toute la matinée. C’était son jour et je termine tout de même avec une cinquième place au classement final.

IMG 3956Je suis dans l’équipe homme avec Sam et David, deux gars extras en tout point. Je retourne sur le terrain d’entraînement à plat pour vérifier cette histoire de tir en bas. Et effectivement, ce n’était pas tout à fait moi, mais bien une aiguille à bouger pour retrouver deux mètres à mes distances. Sachez-le donc : osez bouger l’aiguille en cas de doute, il sera toujours plus facile de viser plus bas que l’inverse. Un câblage s’étire, rend l’allonge plus courte, la puissance moins forte. Un point d’encochage se comprime et remonte toujours. Tout est fait pour pour la flèche soit propulsée vers le bas au fur et à mesure de « l’usure » de vos réglages. Il suffit de quelques dixièmes qui s’ajoutent entre eux pour laisser un mètre ou deux vous pourrir une journée malgré un beau et bon tir à l’arc. Je le savais en FITA, mais c’est facile, on clique et on en parle plus tant que le bras d’arc tient le coup. Mais en campagne, je ne l’avais pas encore. Bon c’est fait.

Aiguille réglée, je tire quatre flèches, quatre cibles, quatre 6 pleine balle, information qui vient vérifier ma théorie et cette action corrective judicieuse. Malheureusement, notre score n’a pas suffit et nous nous inclinons au premier tour contre les futurs champions d’Europe, les espagnols. Mais toujours quel plaisir de tirer avec les autres armes !!!

Fin de ce championnat d’Europe, le deuxième de rang pour moi qui apprécie tant cette discipline pour se mettre au vert et profiter des variations de chaque parcours, de chaque cible, au calme dans les bois. Une belle semaine de compétition où j’ai partagé des moments absolument géniaux avec l’équipe de France et avec les autres nations. J’apprends plein de choses, mais c’est surtout un plaisir qui nourrit d’autant plus mon envie de partager bien des astuces avec vous au rythme des futurs articles, vidéos et trucs de tir que je publierai.

IMG 3730Retour le lundi soir, lessives, changement de monture pour l’INVICTA, quelques entraînements tout à fait normaux à 50m et qui se déroulent vraiment très bien. Des séries parfois parfaites, parfois presque parfaites. Paquetage pour Yankton, avec une ramette de papiers justificatifs à présenter à l’aéroport avant d’embarquer pour un long voyage.

Une fois sur place à la nuit déjà tombée à l’heure du dîner, l’équipe de France comate. Mais nous, les garçons poulistes, avons faim. Non loin de l’hôtel, un Subway pour un bon sandwich avant de faire un bon gros dodo enfin avec des jambes allongées, dépliées. Nous découvrons notre mode de transport vers le terrain le lendemain, des « school bus » typiques américains bien jaune, montés comme les stabs de l’oncle Joe, sans amortisseur. On embarque à la waléguène pour 45’ de route et un seul virage, celui pour bifurquer vers le NFAA Easton Archery Center. Un complexe immense où nous étions pour les derniers championnats du monde en salle. Au-delà de ce complexe, des terrains à plat, immenses, et des terrains de parcours permanents de tir NFAA, Field, 3D, encore plus immenses. IMG 3763

En hiver, Yankton, c’est -25°C et du vent. En été, Yankton, c’est +30°C et du vent. Mais le lendemain peut afficher 10°C seulement et de la pluie, mais toujours avec du vent. Premier entraînement sorti de l’avion et les yeux jet-lagués, dans le vent fort, forcément ça en colle un peu de partout mais on s’en fiche pas mal à ce stade. Surtout ne rien toucher, juste chauffer, respirer, bouger le plus correctement possible. Le lendemain, même chose mais en mieux. Et le surlendemain, c’est l’entraînement officiel et le vent était vraiment casse-bonbons. Tout était en place, voire parfait, alors après une heure trente fructueuse, un niveau de confiance atteint et un contrôle matériel passé avec succès, retour hôtel pour calibrer la suite et préserver l'énergie en stock, elle servira.

IMG 3767Le programme nous fait tirer le matin à 9h. L’hôtel est le plus éloigné du site de compétition, à Vermillion, la ville d’à côté. Sauf que "la ville d'à côté" faut s'le dire à l'américaine là aussi, elle est pas à côté - à côté la ville d'à côté... La salle de petit déj ne peut accueillir que neuf personnes en même temps sur trois petites tables toutes rikiki pour la France, l’Espagne, le Portugal et la Chine de Tapeï. Là par contre, on n'est pas du tout à l'américaine, du tout ! C’est un peu à l’étroit, mais c’est surtout qu’à 5h30 de bon matin, le café n’est pas encore servi. Ca fait tôt hein ? Et oui, la navette est programmée à 6h15… Comme y disent là-bas : « WTF? ». Voilà, donc en tout bon français que nous sommes, direction la station service Casey’s d’en face pour choper un café qui ressemble à du café avec du vrai café dedans avant de monter dans le bus. Mais avant cela, la veille, puisque nous sommes prévoyants et organisés, nous marchions une bonne grosse demie heure pour nous rendre au Walmart, le supermarché du coin, et acheter de nos deniers de quoi petit-déjeuner. Une fois à la salle, le calme règnant, nous prenions notre collation de rois, la tartine beurrée et confiturée, café dans le Thermos. Il est 7h, le jour n’est pas encore levé et nous tirerons dans deux heures.

IMG 3775Les qualifications démarrent, il ne fait pas chaud et le vent fort est déjà présent d’entrée de jeu, trois-quart pleine tête. Les conditions n’ont pas été évidentes du tout, elles demandaient une attention de tous les instants, permanente, intense. Je tirais donc au pouce pour rester décisionnaire du départ de flèche, ça veut dire que j'appuie sur l'bouton, sinon je serai resté au back tension. Un choix judicieux, je n’ai pas la caisse de Jean-Philippe pour tenir un back tension dans un vent aussi fort. Seulement, cela consomme une énergie psychologique vraiment très importante. Je m’en sors plutôt bien avec une première série à 345, sans grosse erreur, et des flèches pas loin - pas dedans. De toute façon dans ces conditions, le principal n’est pas réellement de réaliser la meilleure performance du coin, il est de ne pas commettre de bourde ou contre-performance nuisible à soi et à l’équipe. Deuxième série, je suis sur la même lancée mais en mieux, le vent se renforce. Dernière volée, j’arme la première flèche malmené par les rafales et soudainement tout s’arrête, le point est fixe rouge à droite. Mécaniquement je tire sur la ficelle et le décocheur largue. 8 à droite. Rien de surprenant, sauf que ma tête était en black-out. Perdu je suis, constat est fait. Le chrono poursuit son décompte, les rafales reprennent. Je dois tirer mais je suis toujours en cours de redémarrage système, c’est assez pénible de savoir que, quoi que vous fassiez, vous savez que vous êtes en « mode dégradé ». 8 à gauche. Pan, moins quatre points, reste quatre flèches à tirer, « putain aller merrrrdeeeeeuuuuu active lààààà ». Je lutte, respire, active les cases lucidité-attention-warmode-détachement-fulloption et je retrouve du connu. Je prends ce que j’appelle « un dos d’âne », un petit défaut de coordination avant - arrière et je tire un troisième 8 en bas. Donc j’en ai un à droite, un à gauche, et un en bas, une véritable scène de crime... J’en suis à moins six points et il me reste 90 secondes, trois flèches, pour ne pas couler, et les rafales ne cessent de siffler. Cette fois j’ai bel-et-bien redémarré pour finir avec un beau 29 pas loin qui lui était tiré comme il le fallait. Black-out terminé, les dommages sont limités. Je perds dix places en gros et l’équipe n’en pâtit pas donc c’est ok pour la suite, de toute façon les tableaux sont totalement pétardés … ça reste des qualifs, et on est qualifiés sans gravité.IMG 3817

Tous les repas se prennent au terrain, nous sommes debout depuis 5h30, ce qui n’est pas le cas de tous les concurrents qui sont logés à proximité pour la plupart. Pour tenir jusqu’à la fin de la semaine, l’erreur serait de rester sur place en tuant le temps jusqu’au dîner avant de rentrer à l’hôtel le soir, littéralement cramés par la journée. S’entraîner dans le vent d’autant plus fort après l’investissement de la matinée ? Non, définitivement nous devons nous adapter. Déjeuner puis navette retour hôtel pour repos et désamorçage / réinitialisation pour le lendemain qui sera le même programme pour le tir par équipe. Il n’était pas question non plus de reprendre une heure et demie de notre temps de repos pour le passer dans la navette et prendre un repas gamelle dans la salle. Une voiture de location était une solution toute faite, choix qu’on fait toutes les autres nations soumises à cette organisation particulière, mais que nous n’avons pas pu choisir. Nous restions ainsi à l’hôtel pour partager des temps d’équipe réduite, scindée classique / poulies ayant un programme différent, et nous prenions nos repas en différé en ville. Notre choix, nos frais. A froid, c’était vraiment la meilleure chose à faire même si j’aime passer du temps à voir les autres, c’est un championnat du monde et chaque individu doit se concentrer sur sa réussite pour le collectif. IMG 3782

En équipe, avec Adrien et Jean-Philippe, l’ambition est présente et assumée. Nous sommes là pour aller au bout, sinon un podium. Les tableaux ne peuvent plus être favorables ou non tellement les conditions rendent l’exercice aléatoire. Les niveaux de performances sur le papier ne doivent pas entrer en considération. Adri ouvre en 1, je tire en 2, JP ferme en 3. Nous pouvons changer à tout moment. Les trois archers sont taquets. Nous nous échauffons une heure avant le début des matchs, une arrivée avant 7h le matin nous le permettait. Pas de 9 sur les matchs d’échauff’, ou presque pas, et du temps à revendre au chrono. Tout est réellement solide et en place. Nous rencontrons les hollandais, ce n’est pas la première fois et sûrement pas la dernière. Le match est lancé à 60 points partout, 5X pour nous, puis 120 à 119 pour eux. Nous tapons encore 4X. L’ordre est bon, le rythme excellent, un petit 9 sort de la pastille. Mais tous ces X sont la démonstration d'un tir de qualité et bien posé, donc pas d'inquiétude. Puis une volée à 57 nous met dedans, les hollandais ne faiblissent pas. L’issue du match nous laisse à deux points d’écart malgré un beau 59 pour finir. 235 points pour l’attaque contre une équipe qui sort d’un match à 232 et qui affiche son nouveau record national à 237 points, c’est un score qui nous permettait d’accéder au tour suivant dans bien d’autres cas. C’est souvent la même histoire qui se répète et clairement, ça fait chier. Nos perdons en huitième de finale, et c’est une grande déception. Tout était bien, tout.

Retour hôtel, même programme, mêmes horaires, l’individuel entre en lice dès le lendemain. Le format change pour mettre en lumière les archers à compter des quarts de finale. J’ai le sentiment que le format change à chaque nouvelle compétition World Archery. L’habitude voit les matchs jusqu’en demie finale incluse pour ensuite diffuser les matchs de médailles de bronze et d’or à la télé, et cette année le format a changé pour les coupes du monde qui diffusaient ces matchs télévisés à compter des demie finales. Pour ces formats, les huit premiers archers des qualifications étaient « protégés », les 48e et 24e de finale se tiraient un jour différent des 16e pour faire entre ces huit protégés. Au moins, tout le monde repartait sur un match « à froid ». Mais là, à Yankton, c’était encore différent : les matchs d’arène allaient être diffusés à partir des quarts de finale. Donc, des 48e jusqu’aux huitième de finale non stop, tout s’enchainait. Les protégés rencontraient des archers « chauds », et ça, c’est chaud, et pas vraiment un avantage d’avoir réalisé de bonnes qualifications.

IMG 3788Classé 37e des qualifications avec 685 points, ce qui est bien mais pas top avec mon superbe 53 de finish, je tire d’abord contre le Panama en 48e de finale. Ce n’est jamais facile, et les tableaux sont pétardés, je le rappelle. Aujourd’hui, le vent est dans le dos, moins fort. Il ne sent pas ou peu sur la ligne de tir mais il est bien présent en cible. Il fallait avoir du pif pour parier sur la bonne visée à avoir, les yeux ne suffisaient pas. Je remporte ce premier tour avec un bon 148, deux 9 sans conséquence, pas loin, pas d’erreur de tir, juste l’information de la contre-visée à réaliser. En 24e de finale, je rencontre le Mexique, il vient de tirer 150 points. Il sait tirer et je doute qu’il me sorte à nouveau un 150 quand bien même, on va partir du principe qu’il va taper le parfait à nouveau. C’est donc ce que je recherche. Je ne suis pas stressé, bien au clair sur ce que je dois faire et mon tir est bon, exactement comme je veux qu’il soit. Je réalise quinze flèches comme je voulais qu’elles soient, posées, décidées, solides. Trois d’entre-elles sortent de la gamelle, pas loin, vraiment pas loin, mais pas assez proche pour croquer le cordon. Mon adversaire a eu plus de réussite en chopant les cordons sans ambiguïté et avec un joli tir, score final, 148 à 147. Avec mon 30 sur la dernière volée, il lui fallait un 10 pour gagner, ce qu’il a fait, c’est sport.

IMG 3805Je sors de ce championnat du monde avec l’amertume du classement qui ne reflète pas mon niveau de performance, mon investissement, mon engagement. Je ne sais pas, même à froid en me posant les douze mille questions pertinentes, comment j’aurais pu faire mieux que ce que j’ai produit sur cette semaine de compétition mondiale. Je ne sais pas. J’avais tout, et j’ai tout mis. Tout. Je pourrais très bien me dire que cela n’était pas suffisant en terme de performance intrinsèque mais non, même pas, car le reste du terrain passe avec 147 points, mon score sur ce match. D’autres passaient avec 144, ou perdaient avec 149. Je pouvais accrocher un 149 sur ce match, pas un 150, une flèche était milieu de 9, mais les deux autres étaient vraiment proche. Il suffisait d’un vent un peu moins fort, ou un peu plus fort, au moment où je pariais sur mon lâché, pour que la donne change. Dans ces conditions, je vois les choses comme un pari, une mise. Il y a tellement de paramètres et d’archers capables de taper du 10 à répétition que le quantique doit être considéré et accepté. Accepté, non pas par résignation, mais pour mieux rebondir. Mais, encore une fois et dans des mots sincères, ça fait chier. Tout ça, pour ça.

Je ne peux pas regarder mon classement, ni par équipe, ni en individuel. Je n’y accorderai aucune importance mathématique, statistique, et l’idiot qui le fera ne portera pas son regard sur la manière, l’engagement et la qualité des tirs, la réussite à portée de poil de cordon. Ce serait une insulte à tout ce que nous avons fait, individuellement, pour la réussite de l’équipe de France sans demander de compte et en nous démerdant bien souvent par nos propres moyens. Qu’est-ce que nous aurions pu faire de mieux pour réussir ? Quelque soit l’âge et l’expérience, je ne sais pas. Sinon de continuer avec autant de passion et de rigueur que ce que nous avons su produire en pleine pandémie, avec les armes et les outils qui sont les nôtres, pour revenir et être présents sur un championnat du monde. Le niveau de performance de nos adversaires vainqueurs nous honore, il ne doit pas nous faire rougir de honte mais nous signifier la façon dont ils nous abordent, nous craignent et nous respectent. Voilà ce que je retiens, voilà ce qui m’animera pour les prochaines flèches d’une nouvelle saison qui commencera très bientôt.65339248172 376AB05D 0898 4625 8091 43A5AD7F7F3A

Je suis vraiment heureux d’avoir porté ce maillot de l’équipe de France, fier de mes résultats cette année si particulière et de mes choix, et content d’apporter ma contribution à la communauté sportive par mes textes, mes images, mes vidéos. Que cela porte les champions de demain. Quant à moi, je continue. 

Bientôt, de nouvelles aventures, à commencer par enfin lâcher le fruit d’un labeur acharné avec toute l’équipe d’Arc Système et pour laquelle il me tarde de revenir devant ma caméra YouTube. Ca va être vraiment cool.

Spoiler : on va causer stabilisation, et on va bien le faire, du genre que vous allez aimer, vraiment aimer.

Laissez-moi juste le temps de me remettre des 27 heures de voyage retour, encore un p'tit peu, et on s'y met c'est promis !!!

 

Archerycalement, 

Bisous

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