World Cup 2014 : Shanghai.
Une démarche mentale et technique différente que je travaille depuis maintenant sept mois, une approche matérielle modifiée, une situation personnelle et professionnelle en pleine mutation et des objectifs touours plus hauts sont les plus fortes raisons qui me rendaient inquiet, mais pas incertain. Vais-je réussir ?
Liquide, c'est le terme qui convenait le mieux à mon état d'esprit avant de partir sur cette première manche de coupe du monde 2014. Une démarche mentale et technique différente que je travaille depuis maintenant sept mois, une approche matérielle modifiée, une situation personnelle et professionnelle en pleine mutation et des objectifs touours plus hauts sont les plus fortes raisons qui me rendaient inquiet, mais pas incertain. Vais-je réussir ? Est-ce le bon chemin ? Ai-je pris les bonnes décisions ? Suis capable de concrétiser un projet ? Autant de questions qui résonnent depuis plusieurs mois, dan l'entreprise d'un stratégie ambitieuse et culottée. En plus d'un record d'Europe et de deux médailles d'argent individuel et de bronze mixte, Shanghai m'apporte les réponses que j'attendais activement pour lâcher les chevaux, m'émanciper dans le "savoir pour quoi je suis là". Ces réponses sont de l'or en barre : pourquoi ... ?
A peine rentré de Phoenix où je tirais l’Arizona Cup, j’optais pour deux configurations matérielles possibles, un pouce ou un pouce et demi d’allonge supplémentaire, rien que ça. Des placements posturaux différents, une approche de la cible modifiée. Je me rendais le mercredi précédant le décollage pour la Chine à l’INSEP où une compétition se tenait pour les pôles arc classique. Deux départs dans un vent frais auront rayé bien des éléments de ma liste, notamment pour rester sur une allonge de 27,5’’ et pas plus pour le moment. Les scores n’étaient pas élevés, 333-350-337-339, aussi à cause d’un spine de flèche beaucoup trop souple. Cependant, ces départs ont orienté mes choix. Le soir même au retour de Paris à Salaise, je montais une demie douzaine de 470 et de 420 Protour, couché deux heures du mat’, tests à dix heures. La 420 semble l’emporter sur les 470, et sans conteste par rapport à mes acrobatiques 520 que je tirais depuis 2007. Je confirme le vendredi sur une petite heure de tir, et départ samedi vers Shanghai… Je croise les doigts, pourvu que ça tienne.
Les deux entraînements sur place se passent correctement lundi et mardi. J’ai tenté de rattraper le décalage horaire rapidement, avec succès cette fois contrairement à l’année dernière. Mercredi, les qualifs commencent et les volées d’échauffement sont une catastrophe dans des conditions de tir presque parfaites. J’attaque la compétition avec 57 et 58; je bouillonne, contiens et transforme la colère en détermination : 60-59-60-60 / 60-60-59-58-60-58, 709, 29X, et cinquième des qualifs. Bien, je tiens quelque chose là, la voie est la bonne, car je n’aurais pas pu tenir la bagarre aussi longtemps avec une autre configuration et sans le travail abattu ces derniers mois. 28 archers tirent 700 points et plus, 700 points ne suffisent plus. En plus de la perf, il y avait du vrai plaisir à tirer. Mes flèches volaient bien et groupaient, l’arc sonnait bien et j’avais peu à peu la confiance libérant la bride. Juste derrière ce départ, Sophie Dodémont et moi qualifions l’équipe mixte à la seconde place provisoire derrière les USA. C’était une belle compétition mixte, avec beaucoup de plaisir partagé et beaucoup de plaisanteries. Les scores de ses adversaires poussent à devenir meilleur, les scores de ses coéquipiers tirent vers le haut et encouragent la progression; mais alors là, Sophie, c’est mon égo qui prend une claque !!! Lors de la sélection FITA de début de saison déjà je devais ma bagarrer avec elle pour rester devant, et je dois aussi le faire en équipe mixte, merde alors !!! Ma fierté est sauve, je garde mon caleçon sur les matchs jusqu’en demie finale, nous tirons trois fois 156 points sur 160, très bons. Je reviendrai sur le mixte pour la journée du samedi un peu plus bas...
Jeudi, jeudi, jeudi… Le jeudi en compét inter, c’est jour de tonnerre. Ca passe, ou ça casse. C’est ce jour précis où ma stratégie prend toute sa valeur. Dans l’esprit, on se prépare au jour J, le jeudi des matchs individuels portent vers le terrain des finales en vue d’obtenir un titre de champion. Ca, c’est bien intelligible et cohérent dans l’approche logique du haut niveau. Je ne cherche pas uniquement cela, je veux le multiplier par le nombre de compétitions internationales présentes dans mon calendrier. C’est une sorte de voie parallèle où je prépare l’objectif majeur et les étapes pour le réussir. Les étapes sont déjà des compétitions internationales que je souhaite réussir, l’enjeu est grand, je parle de truster les podiums internationaux jusqu’à ce que je décide d’en partir. Une chose après l’autre, d’abord, je dois être performant quelques soient les conditions de tir sur les qualifications, ensuite, je dois rejoindre le plus souvent possible le score parfait dans les matchs, puis, je dois apprendre à maîtriser les nouveaux éléments sur un terrain de finale. Tout ceci plusieurs fois de suite, car une saison comporte le tir en salle et l’extérieur, avec chacun quatre manches de coupe du Monde, une grande finale, et leurs championnats respectifs. Je n’oublie pas le maintien du premier rang mondial, en association avec la régularité dans la haute performance. Autrement dit, je cherche à tutoyer les étoiles, les appeler par leurs petits noms, leur taper la bise avant de les inviter à ma fête. Hautain ou vaniteux ? Non, je ne pense pas, bien des proches sont là pour me rappeler d’où je viens. J’affirme aisément qu’il s’agit de l’essence même du sport de haut niveau, qui élève le niveau de performance toujours plus haut, d’une apparence toujours plus facile aux yeux des autres, nourrissant le rêve du spectateur et par voie de fait, celui de l’acteur. Et un beau jour, il y en a un qui réalise ce que personne d’autre n’a jamais fait : c’est lui que je veux être !
Jour de tonnerre, les seizièmes de finale sont normalement espacés d’une coupure, ceci pour ne pas léser les huit archers pré-qualifiés. Le vainqueur du 48e et du 24e de finale possède la connaissance du terrain et l’ascendant psychologique, il est chaud. En 16e de finale, 32 archers, nous étions 28 à plus de 700 points, rien n’est jamais gagné ou perdu d'avance avec si peu d'écart ! La navette hôtel-terrain m’amène à 9h, mon match est programmé à 12h55. Les quatre cent pas… Une demie-heure de retard, il faut gérer l’attente et l’impatience, la faim pour ne pas tomber ni dans l’hypoglycémie ni dans la digestion, et cette absence de coupure entre le 24 et le 16e de finale. Je ne pourrais pas m’échauffer sur ma cible, cela sera sur un côté du terrain, sur une cible à l’ombre au blason prenant l’apparence d’un panneau de signalisation Corse et bientôt un adversaire de niveau 700 victorieux… Bien, alors il faut sauter de l’avion ? Je saute !
148, 149, 150 et 148 contre notamment l’australien Robert Timms à 700 points au premier tour, Roberto Hernandez médaillé de bronze au jeux mondiaux et 9e mondial; un coréen, ils sont à surveiller ceux-là, archers pro et une raison de plus de bosser dur; 148 contre le Turc vainqueur du mexicain Ricardo Fiero, lui aussi archer à plein temps. Je n’ai pas vu mes adversaires, je tirais pour ne pas faire de 9, dans un jeu égoïste contre moi seul en tout premier lieu, l’objectif est de repartir de Chine avec une progression individuelle sans ambiguité, en quête de perfection. Les conditions étaient bonnes avec un peu d’air quelques fois puis parfaites à la lumière artificielle du stade (Les Pilla étaient de sortie, juste parfaites). Bilan, le seul 150 de la journée est mon nouveau record d’Europe, et j’améliore ma perf de Shanghai 2011 passant de 8 à 9X.
Maintenant, je peux me dire que je sais tenir des scores parfaits ou proches du parfait dans un jour de tonnerre alors que je suis encore au stade évolutif de ma préparation. Quand ça marche, ça tape fort, le regard n’est pas le même, la tolérance de la stabilité non plus, je sais alors que le geste prend le relais pour faire voler les flèches pleine balle. Mon truc, ça fonctionne, et il va encore devenir plus fort et plus intuitif, reproductible donc facile. Le tir à l’arc c’est ça, reproduire le même geste en symbiose avec le matériel pour que le résultat en cible soit cohérent et précis. Plus on cherche à devenir meilleur, plus la concentration doit être aiguisée, et ça, c’est la championite !
Vendredi, jour des équipes. Avec Sébastien Peineau et Brasseur, nous étions classés 5e (709, 699, 692). Première composition de cette équipe en FITA et nous décidions de garder le même ordre de tir que celui de la salle. Il aura fonctionné sur le premier match en huitième avec un excellent score de 237 points sur 240, vraiment costaud compte-tenu des rafales de vent présentes. Je tirais en 1, Séb Peineau en 2 et Séb Brasseur en 3. J’ai souvent tiré en 3, Brasseur aussi, et sur cette compétition la stratégie est de trouver le bon roulement en vue des championnats d’Europe FITA, objectif majeur de l’année pour l’équipe (même si la sélection des Europe n’est pas encore tirée, les archers peuvent s’y préparer, le coach également). Avec un deuxième score à 228, très peu chanceux, j’ai pu confirmer dès la fin du match que la place de 1 ne me convient pas. La dimension psychologique n’est pas la même suivant la place. Mon fonctionnement veut que j’encourage mes coéquipiers au maximum pour les mettre en confiance, et ensuite entrer sur la ligne de tir pour finir le boulot jusqu’à la dernière seconde si nécessaire. En 1, je me précipite pour laisser le temps à mes coéquipiers, et je manque de garder cette petite seconde de plus qui fait d’une flèche un beau 10. Par conséquent, je me renferme et je ne suis plus capable d’encourager mes coéquipiers de la même façon. A chaque caractère sa place, la mienne n’est pas en 1, et ça, maintenant nous le savons très clairement. C’était Dominique Genet, toujours en rééducation suite à son opération du dos, qui occupait à merveille cette place d’ouvreur. L’équipe c’était forgé un retour d’expérience suite à de nombreuses compétitions internationales ensemble, nous sommes capables de réussir avec d’autres compositions dont il faut affiner les réglages. Nous perdons en quart de finale avec cette précieuse information qui nous permettra d’avancer sur les prochaines compétitions, quelle que soit la composition de l’équipe.
Samedi, jour des poulies, jour de pluie ! Il aura fait beau toute la semaine et ça tombe là… Les premières flèches d’échauffement pour le mixte avec Sophie étaient sport, dans le vent très irrégulier mais fort et sous la pluie parfois battante, pas loin de l’horizontal non plus. J’en avais de partout en cible, et j’ajoutais à cela un décocheur en éponge, et un verre de scope criblé de gouttes d’eau laissant faiblement apparaître le blason au fond au loin derrière. La grande tribune abritait bien le pas de tir, ce qui nous a permis de produire un beau match avec un bon score. Le vent est ensuite tombé pour n’apparaître que par quelques rafales, et la pluie devenait crachin breton chinois.
En finale, j’ai porté la culotte, et j’ai admiré ma coéquipière défoncer le 10 pendant que je tardais à trouver mes repères sous la pluie (je suis un gars du Sud après tout !). Il y'a eu quelques flèches de combat de coqs entre elle et moi, à ne pas vouloir toucher le 9 de peur d’avoir la dentelle qui gratte (la dentelle de sous-vêtements NDLR… Mouhouhahaha). On le voit bien sur la vidéo du match, ça se marre ! Un très bon moment et une belle victoire à 153 points qui nous attribue la médaille de bronze. C’était aussi mon premier passage test sur un terrain de finale avec ma nouvelle configuration, j’étais impatient de savoir comment j’allais réagir avec cette allonge plus grande, sous la pluie avec le décocheur qui s’échappe sans sommation, en tir mixte où le temps est précieux. Et bien je peux affirmer être heureux d’avoir effectué tous ces changements, quel confort gagné par rapport à avant !
Ensuite, encore une petite attente et je retrouve mon coéquipier Sébastien Peineau pour nous échauffer avant cette finale 100% française historique pour notre catégorie et pour l’équipe de France. Pour la première fois nous sommes deux tricolores à rejoindre ce stade de la compétition en même temps, et cette finale inédite imposait une gestion particulière de l’évènement. On s’entraîne, on mange, on se déplace, on se marre, on s’échange le matos et les combines, on stresse, on est heureux ou déçus, on partage les mêmes terrains, les mêmes chambres, le même coach… ensemble… L’isolement est impossible, et il faut faire face à la situation pour produire un beau match, des images de caractère. C’est un match superbe qui s’est produit, serré, avec beaucoup de 10 et de belles flèches. Je l’ai abordé de la bonne manière, et je suis très content du résultat. Le match a été bien engagé, avec des flèches très bien tirées, précises, et je n’avais aucun doute sur l’impact dès le tir effectué. Je menais la danse, calmement, avec la joie de voir Séb prendre du plaisir à côté, même si je me doute bien que ce n’était pas facile pour lui non plus, il n’était jamais à plus de deux points d’écart. Tenir la cadence lui apportera sa première victoire en coupe du Monde FITA, et je suis content pour lui. Il y avait beaucoup de respect mutuel, lui ne criant pas sa gloire, et moi ne lui sautant pas à la gorge. Cette finale était aussi importante pour lui que pour moi, et si la place finale signifie la victoire ou la défaite, ce que je retiens est notre capacité à produire un beau match entre potes en tout début de saison, alors que rien n’était joué d’avance et que nous avons tous deux notre parcours de vie et ses difficultés respectives. Bravo Peanuts ;-)
J’ai subit la dernière volée, où je prenais deux petites rafales dans le dos, refermant mes bras, je lutte, un peu surpris alors que j’étais détendu et c’est la faute deux fois de suite. C’est à ce moment précis que je perds le match et je ne le savais que trop bien. J’appelle ça le transfert de confiance, comme si j’envoyais mon assurance de l’autre côté du pas de tir vers mon adversaire. Je porte mon attention sur le vent alors qu’il n’est pas un problème en temps normal, je n’engage pas assez ce qui me rend fragile. La fluidité d’un tir prolongé dans les vingt secondes du tir alterné devenait un mirage d’oasis au milieu du désert sur deux flèches, le temps de renverser le match, et de finir sur un beau 10 tout à fait bien tiré. Les cordons affichés sur les scoreurs laissaient planer le doute d’un éventuel barrage, et finalement pas de barrage, dommage… J’aurais bien aimé, juste pour la bagarre, quelque soit le résultat.
Sur le coup, ça m’énerve et ça se voit. Dans mon fonctionnement, je n’aime pas perdre si j’estime que je n’ai pas atteint le score maximal de mes capacités. Ma déception à chaud aurait été moins vive si j’avais perdu avec 148 points dans ces conditions pluvieuse avec un peu d’air parfois sur la fin. J’aime trop quand les archers se bagarrent avec un haut niveau de performance, avec cette sensation de maitrise des éléments et la notion du jeu qui en ressort. C’est pour arriver à cela que je m’entraîne dur, et ma déception était aussi celle du gars qui n’était pas encore au taquet alors qu’un pote est en finale contre lui, j’ai eu la sensation de bâcler le boulot sur la fin, de quoi alimenter ma motivation à reprendre l’entraînement et continuer sur cette voie.
Après coup, puisqu’il est normal et important de mener une réflexion à tête reposée, je suis convaincu d’avoir mené ma barque du début à la fin de cette manche de coupe du Monde au maximum de mes capacités physiques, techniques et mentales. J’étais préparé à produire un tir de qualité, précis et fluide dans des conditions normales, mais pas encore lorsque le temps se dégrade, chaque chose en son temps. Sous la pluie, le décocheur glisse beaucoup, je n’ai pas les mêmes appuis et je rallonge la course pour éviter le pétage à la tronche comme on peut le voir sur ma onzième flèche. Je peux le gérer sur un match de finale, mais si une brise se lève par dessus, cela devient difficile. C’était donc trop tôt, et si je suis resté longtemps le seul archer non médaillé individuellement du top 10 mondial avant de devenir numéro 1, peut-être puis-je me dire ainsi que je peux accumuler quelques médailles d’argent avant de récolter l’or, je suis maintenant le moins titré de tous les numéros un mondiaux.. Je ne dis pas que je me contente de l’argent, je dis qu’il est un peu trop tôt et que je dois rester patient encore, comme l’attente de cette saison salle avant ce début de saison FITA… Avec Shanghai, j'accède à ma cinquième finale internationale FITA d'affilée après celles des jeux mondiaux à Cali, de la coupe du Monde à Wroclaw, de la finale à Paris (même sans être finaliste des finalistes, c'est tout de même une finale) et enfin celle des championnats du Monde à Belek. L’étalonnage est en cours, et comme disent les suisses : « on va pas vite, mais on va loin » (avec l’accent ça met tout de suite le sourire !).
Ce dont je suis sûr, c’est que je reconstruis des bases très fortes sur un mental encore plus déterminé et lucide qu’avant. Le temps d’affiner quelques réglages et de gagner en confiance, j’arriverai à mon but : une montagne sans sommet…
Départ pour le seconde manche le 11 mai prochain, à Medellin, Colombie. Encore, merci pour tous vos messages de soutien et de sympathie, même si je ne réponds pas toujours faute de temps, de présence d’esprit pour trouver les bons mots ou simplement parce que la connexion Internet est plus lente que les signaux de fumée, je les lis, ils me motivent chaque jour et donne un sens à ce que je fais.
Merci, et à bientôt !
Voir la vidéo de la finale (Placez le curseur à 5' pour le mixte et à 1h27' pour la finale individuelle)
Crédit photo : Dean alberga @World Archery