PJ campagne 7

Ce que nous ferons demain...

Depuis la fin de saison hivernale, je n’ai pas donné de nouvelles, ou très peu. Je vous parlais de ma vie de militaire, je vous parlais de ma vie de sportif de haut niveau, je vous disais devenir sportif professionnel, je n’ai pas dit comment cela se passait. Je pense qu’il est important de partager ce que je ressens, ce que je vis, car nombre d’entre vous pourrait s’identifier à autant de faits qui se sont produit dans ma vie. J’ai longtemps hésité à parler de ma vie personnelle, cela ne regarde que moi, peut-être. Ou peut-être pas en fin de compte, avec ce que l’on entend aux actualités, ce que je partage avec mes rencontres, avec vous lors des rares tirs que j’ai pu aligner cette saison, j’ai pensé qu’il était important de dire quelques mots.

 

 

Le tir, le boulot, qu’en est t’il face à nos racines ? Quel est le degré d’importance à accorder à ces choses quand votre coeur, votre essence, vos raisons d’être sont touchées par la violence des annonces, de la maladie, du sort ? Alors après tout, qu’importe les on-dit, les appréciations, les règles de bienséance, et je ne m’adresserai pas à ceux qui ne ressentent aucune émotion, mais à ceux qui ont une raison de vivre leur quotidien avec une reconnaissance des personnes qui ont fait leur parcours.

L’année dernière, je perdais mon grand-père, atteint de démence sénile, violences aggravées verbales et physiques. L’année précédente, ma grand-mère décédait d’une leucémie. J’apprenais d’ailleurs cette maladie par une indiscrétion de la pharmacienne. Mes Grands-parents sont partis sans avoir fait le deuil de leur seconde fille, ma Tante, décédée il y a huit ans après sept ans de lutte contre son cancer du sein, du foie, puis total. Dans ma famille, nous en étions à quinze années de quotidien sur les maladies et autres effets environnants. Ma mère les a accompagné sans relâche, jusqu’au burnout, aux côtés de son époux mon beau-père et de ma soeur. Pendant ce temps, j’étais là par intermittence, militaire et sportif de haut niveau. Ils n’ont cessé de me pousser à aller au plus loin de mes capacités, chaque jour de cette dernière décennie. Ainsi, j’ai été sauveteur en mer et j’ai pu aidé des milliers de gens de mer par la coordination des opérations. J’ai obtenu tous les brevets possibles et j’ai atteint le statut de militaire de carrière. J’ai été en parallèle sportif de haut niveau, dénombrant plus de quarante sélections internationales et presque autant de médailles jusqu’à tenir le plus haut classement mondial durant deux saison consécutives. Une épopée fantastique que je vous ai contée au rythme de mes voyages, des heures d’écriture que j’ai aimé partager. Pendant ce temps, ma famille dégustait, et se mourrait. Je n’étais pas là. Nous savions tous pourquoi je n’étais pas là.

Ma mère est dans un état de fatigue extrême, anorexique et très affaiblie par les successions d’évènements redoutables auxquels elle a dû faire face pendant des années avec mon beau-père. En ce début d’année, nous apprenions une nouvelle redoutée, une erreur médicale avait été diagnostiquée il y deux ans pour mon beau-père. Ce n’était pas un diabète, mais un cancer du pancréas. Ma sœur est aussi touchée, elle a été opérée et fort heureusement pourra m’épauler dans le soutien à mes parents très bientôt. Toutefois, son méningiome frontal sera à surveiller. Reste moi, je vais bien, je suis lourdement affecté par toutes ces nouvelles médicales, mais je vais bien, et je vais faire en sorte que cela continue. Oh que oui...

Ce côté de la famille habite de l’autre côté de la frontière, et les soins allaient se prodiguer ici, à côté de chez moi, dans une maison qu’occupaient mes Grands-parents. Il était donc question de leur préparer un lieu de résidence sain pour que l’hospitalisation à domicile se déroule dans les meilleures conditions, d’un point de vue médical et psychologique, à proximité de leurs enfants, ma sœur et moi. Pas si facile, lorsque l’on parle de changement de pays, surtout sans permis de conduire, surtout quand nous sommes tous accablés des épreuves successives que nous avons rencontrées au fil de ces années, et que la maison doit encore être vidée d’abord, ce qui n’avait jamais été fait. On sait tous ce que représente ce genre de nouvelle dans une famille, mais trois, plus le reste, putain de merde, c’est lourd… Changement de pays car les grands spécialistes de cancérologie se trouvent à Lyon, au centre Léon Bérard, mon beau-père est Suisse, et la logistique s’organisait en urgence. Nous connaissons tous les aléas de l’urgence médicale dans notre pays. Sans permis, car j’ai contesté un excès de vitesse il y a deux ans, mais jugé en appel alors que notre cher Premier Ministre prenait la parole pour dénoncer les automobilistes contestataires en octobre dernier… J’aurais dû perdre deux points sur mon permis. J’aurais pu dire « oui maître » et me la fermer, ce n’est pas dans mon esprit que d’accepter l’injustice. Alors j’ai dit « moi aussi je suis assermenté et habilité à reconnaître les infractions, les conclusions abusives sont nombreuses et celle-ci en est une ». J’ai été suspendu quatre mois, en dépit de ma personnalité, un délit de sale gueule marqué noir sur blanc. Vive la République. Fin du sketch, je suis à nouveau autonome, pour le plus grand soulagement de ma famille et du lion dans sa cage.

Urgence vitale, je dois répondre par une présence permanente auprès des miens, leur apporter un soutien actif et les placer en sécurité. Le sauveteur en mer devient sauveteur en mère, je suis là, avec eux et pour eux, qu’importe ma vie pour l’instant, ils comptent trop à mes yeux. Mais moi alors ? Je suis en congé sans solde, et je peux le rester encore huit ans, et c’est ce que je ferai. Je travaille avec mes sponsors Hoyt, Axcel, Easton et Arc Système dans l’élaboration de nouveaux produits. Tous ont bien compris ma situation, mes choix sont fait sans équivoque. La vie m’apprend à décider. Ainsi, ma vie de sportif professionnel, ou plutôt de professionnel du monde sportif, démarrait en octobre 2014. Je ne voulais pas courir le monde à faire des compétitions, je voulais concevoir du matériel et c’est ce que je fais. Non, je n’en ai pas parlé, maintenant vous savez pourquoi, j’en parlerai dans un autre billet. Nous en avons pris plein le buffet, et ça continue.

Comment prendre cette lettre ? Vous êtes nombreux à demander de mes nouvelles, les attendus le restent parfois et d’autres m’apportent un réel soutien, merci pour ces petits gestes. Il n’est pas évident de se manifester dans ce contexte, je le sais d’après la difficulté pour vous écrire. Vous pouvez ainsi prendre ces mots pour vous situer par rapport à moi, votre compagnon de réglage, de tir, de lecture. Vous pouvez être réfractaire, et passer votre chemin, nous ne perdrions pas de temps. Vous pouvez vous en servir pour rebondir dans vos vies, avec vos proches, prendre confiance en vous et aimer ceux qui vous sont cher, le leur dire. Je n’attends pas pour le dire aux miens, je les aime et ce n’est pas quelques mois de ma vie que je leur offre qui vont hypothéquer mon avenir. Certaines fois, vous foncez pour atteindre vos objectifs et ils ne se pointent pas, quelque chose vous en empêche, mais quoi ? Pour moi, ne pas arriver à tirer correctement, ne pas concrétiser, et cette perte d’assurance était liée à l’attente de nouvelles redoutées. Ses nouvelles sont arrivées, tardivement. Sélections, résultats, communication et objectifs, comment pouvais-je faire mon travail d’archer alors que les miens souffrent ? Comment le sauveteur en mer, voyant sa propre famille en détresse immédiate, doit-il continuer le sauvetage de personnes qu’il ne connaît pas ?

De 2001 à 2014, j’ai dédié ma vie au service de mon pays par mon état de militaire de carrière, sans aucune concession. De 2007 à 2015, je me suis investit à 100% dans le sport de haut niveau bicéphale militaro-civil. Cette fois, j’ai besoin d’une pause pour obligation familiale, c’est sacré ! Je ne regretterai jamais les choix que j’ai fait pour ma famille, j’ai décidé de leur porter secours le temps de les savoir en sécurité et ensuite, advienne que pourra. C’est une entreprise quotidienne où tout programme est rendu caduque par un seul élément s’ajoutant, se modifiant. J’ai été sélectionné pour la coupe du monde à Antalya, suivant la logique de la sélection de février-mars. J’ai dû refuser cette sélection pour rester avec les miens. Je ne pouvais pas imaginer ce qu’il adviendrait si quelque chose se passait alors que j’étais en Turquie, pour moi, pour eux, pour l'équipe. Aussi, mes arguments ont été bien compris par la fédération qui m'assurait sa confiance et son soutien dans cette épreuve. Je continue mon travail pour les marques qui me font confiance, tôt le matin et tard le soir. Je réponds avec plaisir aux messages que l’on m’envoie quand un créneau se libère, quand ma tête arrive encore à aligner deux mots cohérents. Mes entraînements se passent généralement en compétition du dimanche quand je peux en faire une. Elle ne sont qu'en équipe, car c'est une raison de rester jusqu'au bout, avec mes amis du club pour la division régionale que nous remportons encore cette année. Il y a eu aussi quelques tirs en cmapagne, pour me sortir un peu et m'aider à respirer, c'était bon ! En semaine, je ne dépasse pas deux heures de tir cumulées. Toutefois, chaque séance est une bouffée d’oxygène, une récréation, et le tir à l’arc m’apporte à nouveau tout son bien-être. Le temps d’une journée avec mes arcs, je me sauve moi-même pour être le plus énergique et le plus bénéfique possible à mes proches.

Alors, comment prendre cette lettre ? Comme une énergie à vous soutenir dans ce que vous entreprenez, si des familles comme la mienne se trouve meurtrie, si vous vous posez la question de savoir comment aborder une compétition ou un entretien qui vous ronge, pensez toujours qu’il y a plus grave, car c’est le cas pour nombreux d’entre nous. Compétition, traval, famille, les coups durs nous font grandir et apprécier les moments véritables. Les moments que je partage sont purs et hors du temps. Cela n’arrive pas qu’aux autres non, je pense au mal comme au bien. Servez-vous du bien, servez-vous-en bien ;-)

Je suis fatigué, parfois exténué ou abasourdi, mais je vais bien, je tire bien et je travaille bien, je suis confiant et je suis ultra-déterminé pour sécuriser ma famille et pour continuer à profiter du bien-être qu’apporte le tir à l’arc par sa philosophie et ses performances au travers de mon expérience de marin-sauveteur. Je mesure la quantité de travail qu’il me reste à fournir dans chacun des domaines où je dois agir. Elle est immense. Mes parents ont déplacé des montagnes dans leurs vies, ils ont commencé à m’apprendre mais ils n’ont pas encore terminé de transmettre. Alors je les pousse chaque jour à me former. Qu’il en soit ainsi, et en avant.

A ma famille, au devant de leur propre regard,

Je vous aime, vous êtes extraordinaires.

Nulle tristesse, nul regret, reste ce que nous ferons demain.

Si tu veux aller loin, va ensemble.

Je vous aime.

Archerycalement,

Pierrot

 

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