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Finale de la coupe du Monde, Lausanne 2014.

 

J’ai attendu ce moment depuis des semaines passées à économiser mes forces : je suis allé jusqu’au bout de ce que j’étais capable de fournir dans les conditions qui ont été mon contexte toute cette saison difficile. “Cette finale, je la veux, tout comme la victoire finale, c’est l’or, ou rien du tout”. Voilà ce que j’avais en tête pour Lausanne.

La saison 2014 se termine par cette magnifique finale de la coupe du Monde, organisée à Lausanne sur sa place de la navigation. Je remporte la médaille d’argent contre l’américain Bridger Deaton. J’ai attendu ce moment depuis des semaines passées à économiser mes forces : je suis allé jusqu’au bout de ce que j’étais capable de fournir dans les conditions qui ont été mon contexte toute cette saison difficile. “Cette finale, je la veux, tout comme la victoire finale, c’est l’or, ou rien du tout”. Voilà ce que j’avais en tête pour Lausanne. L’amertume a été de très courte durée, je n’ai pas eu peur de gagner, je n’ai pas été impressionné par l’environnement, l’argent prend l’allure d’or lorsque tout, absolument tout, a été fait pour aller au bout de ce que l’on est capable de produire à un instant T.

Cette médaille, j’en suis fier ! Immersion… Thumbnail imageLa coupe du Monde de tir à l’arc existe depuis 2006. Le concept repose sur quatre manches et une grande finale chaque année, dans cinq pays différents. Il est à l’origine de la professionnalisation des archers, qui recherchent des sponsors, qui s’entraînent tous les jours, en aiguisant leur préparation physique et mentale, en prenant soin d’organiser leur temps de pratique et de leur temps de repos de façon stratégique. L’abnégation se mesure, pour que l’expérience soit durable et forte. Avant cela, les meilleurs archers du Monde se rencontraient une fois tous les deux ans pour le championnat du Monde. Désormais, ils se rencontrent au moins cinq fois par an, en y ajoutant tous les grands tournois internationaux et la coupe du Monde en salle qui est en train de fleurir…

A chaque manche, un vainqueur, et des tireurs qui marquent des points en fonction de leur classement individuel à partir d’une victoire en seizième de finale. Des finales de médailles sont ainsi médiatisées sur les plus belles places de chaque ville hôte pour la promotion de notre sport. Tout au long de la saison, un classement de la coupe du Monde évolue pour sélectionner les sept premiers tireurs à cette prestigieuse grande finale. Sept, car le huitième est un archer du pays hôte, pour la représentation nationale et pour encourager les médias à suivre l’évènement.

Thumbnail imageFigurer parmi les finalistes est déjà une superbe performance pour sa régularité sur chacune de manche, ou sur la capacité à rejoindre les podiums. Divers profils peuvent se créer, je remporte l’argent à Shanghai et l’or à Wroclaw. Sébastien Peineau remporte Shanghai et marquera des points sur toutes les autres manches de la saison. Reo Wilde ne gagne aucune manche, mais remporte deux médailles en bronze et en argent en plus des quelques points acquis sur une manche, cela lui offre la tête du classement. Avant la dernière manche, rien n’est encore joué. C’est la chasse aux points sur le pas de tir de la destination ultime, et les matchs peuvent être tendus pour cette cause mathématique. Le détachement est une des clés pour la réussite de cette course aux points. La finale des finales… Elle est l’évènement de prestige, de marque de l’année. La World Archery mise sur cette compétition pour offrir des images de haute qualité à notre sport. Le but est sa promotion par le spectacle sur des scènes choisies et superbes. Pas d’entraînement officiel, pas de qualifications, pas d’équipe, ce n’est que l’individuel, pur jus, et directement propulsé en quart de finale dans une arène médiatique. Le tableau des matchs est celui du classement de la saison en fonction des points marqués par les tireurs. Le premier rencontre le huitième, puis 2 contre 7, 3 contre 6, 4 contre 5. Seule l’équipe mixte en tête du classement est sélectionnée pour un match unique d’exhibition contre l’équipe du pays hôte. L’ambiance est certes plus détendue, car les tireurs ne sont pas accompagnés par leur équipe nationale, mais par leur coach seulement, qui peut être la personne de son choix. Seulement, les visages sont marqués par l’appréhension de commencer cash sur un quart de finale dans l’arène… Effectivement, si ce match est perdu, seules quinze flèches auront été tirées, et retour à la maison. Lausanne est ma troisième finale de la coupe du Monde. A Tokyo en 2012, je terminais sixième dans les jardins impériaux, alors que je commençais tout juste à savoir rejoindre un carré final.

Thumbnail imageA Paris l’année dernière, je terminais sixième aussi, dans un match que je garderai en mémoire : un 6, et que des 10. J’étais l’archer qui allait composer l’équipe mixte du pays hôte, avec Pascale Lebecque, contre les italiens champions du Monde. Nous avons eu l’immense joie et fierté de chanter notre Marseillaise au pied de la Tour Eiffel, sur les fontaines du Trocadéro, en vainqueur à domicile.

Thumbnail imageSi Paris était un écrin magnifique, Lausanne était une étuve, magnifique aussi, mais contre toute attente, il faisait vraiment chaud !!! Place de la navigation à Ouchy, vue sur le lac Léman et sur les montagnes, au port de Lausanne, la cadre est somptueux et très relaxant. Relaxant… Cela dit, il fallait être spectateur pour ne pas trembler à l’approche des finales. Les caméras haute vitesse, aérienne, sur bras, sur rails, tout était en place pour réaliser des images superbes, une fois de plus. Si la Suisse a connu un été désastreux, ce weekend était ensoleillé, les quais bondés de promeneurs en versions claquettes et lunettes de soleil, sans un brin d’air.

La compétition commençait par l’accueil et les premières flèches jeudi, au club de Lausanne, à quelques pas du siège de la World Archery. Endroit reposant, calme, abrité et verdoyant au milieu de grands arbres. Derrière le pas de tir, la cabane en bois façon chalet est un clubhouse chaleureux; devant le pas de tir, tout donne envie de tirer. C’est un lieu où l'on reste même lorsque l’on a rangé l’arc, juste pour profiter des amis, ou pour flâner un moment avant de reprendre le cours de sa vie sans carquois à la ceinture.

Le premier entraînement était à l’image des derniers tirs dans mon club à Salaise, du presque parfait, avec un arc ou avec l’autre, le #1 ou le mulet… J’allais avoir un choix à faire entre le blanc et le noir : j’ai remporté la dernière manche de la coupe du Monde avec le noir, j’ai réalisé les plus hauts scores avec le blanc. Les deux arcs sont sensiblement identiques après modifications, garder un regard sur les plus mauvaises volées me donnera les éléments pour faire un choix le moment venu. Garder de l’énergie, attendre, penser à autre chose, exercice difficile depuis le retour de Pologne il y a trois semaines, comme depuis trois ans déjà. Vendredi, c’est la veille, c’est le jour où rien ne va, où le tir est tendu, où les méninges s’emballent, les nuits sont de plus en plus courtes et agitées, les yeux demandent à retourner au sombre. Entraînement le matin, quelques flèches pour préparer la séance de familiarisation au terrain des finales prévu à 15h30 l’après-midi. Ces quelques flèches ne ressemblaient pas à celles du jeudi, un peu plus dur, moins relâché, moins facile, mais c’est normal : je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, encore. La séance arrive, l’échauffement se tient sur un quai perpendiculaire au port, cap sur le lac. Inédit et vraiment très sympathique, le seul hic étaient pour nos amis skateboarders… On les entendait râler derrière les palissades de sécurité, ce quai leur est normalement réservé pour glisser sur les modules spécialement conçus à cet effet. Toutes nos excuses les plus sincères et merci pour ce prêt !

L’orientation n’était pas identique à celle du terrain de finale, le réglage viseur était important à mémoriser pour attaquer au 10 cash une fois dans l’arène alors que les points comptent. Quinze flèches, seulement quinze pour faire la différence entre deux des sept meilleurs archers du Monde, autant commencer le travail dès le début sous peine d’exclusion ! Thumbnail imageL’arène arrive et mon premier constat est la chaleur humide qui se dégage sur ce terrain très abrité. Pas d’air, étouffant, étuve, je glisse des mains et je n’ai pas de prise ni dans le grip ni dans le décocheur. Je sais que c’est un tir qui me coûtera beaucoup sur le plan énergétique, crispation, concentration, sous peine de pétage à la tronche et de dégradation formelle de ma stabilité. Après quelques flèches avec l’arc noir, je décide de choisir le blanc. Les erreurs sont plus proches de la gamelle en cas de crash, il est plus soft et un poil plus stable. Pour cette chaleur, il est un peu court, ma presse est sur le terrain, je colle un tour  de confort à mes câbles. Dernière des quatre volées de familiarisation sur ce terrain, neufs flèches, neufs X. Retour hôtel.

Bien des tentatives de mise en veille de la cervelle ont échoué ces dernières semaines, et pourtant, cette dernière nuit avant la finale, j’y suis arrivé. Casque, film, je m’évade un moment et la nuit fût bonne, ouf… Je me réveille avec cette satisfaction, toutefois de très courte durée : il m’aura fallu deux minutes pour sentir mon coeur taper et mes jambes commencer à trembler. Le stress est omniprésent, ce n’est pas une habitude. Une bonne nuit ne suffit pas à combler les manques et multiples attaques de cette année, je suis dans un état de fatigue, et je dois jouer la carte de l’économie pour aller jusqu’au bout. Ces prochaines flèches sont la raison pour laquelle je suis resté silencieux ces derniers mois, à rechercher la moindre risée en surface capable de regonfler un peu mes voiles déchirées. La tenue est impeccable, mon matériel est propre, je quitte l’hôtel.

Thumbnail imageSur place, ma famille est là, et prendra bientôt place dans les tribunes. Je tire à 12h14. Les spectateurs affluent, parmi eux, des amis et une cloche savoyarde. La cloche, c’est une histoire qui date de Nîmes 2009, ma première grande victoire. Mon ami Jacques avait eu cette idée pour me transmettre ses encouragements d’une façon bien identifiée, pari réussi ! Du coup, elle est restée, et c’est un son que j’aime beaucoup entendre, qui vient mettre en musique l’ensemble des encouragements reçus, et ainsi mis en valeur. Cette fois, c’est Morgan qui aura des ampoules à force d’agiter sa superbe cloche, merci beaucoup cher ami ;-)

Une fois sur le quai d’entraînement, les américains me posent des questions sur les types de bateaux amarrés, je leur réponds et je lance une démonstration du cri du goéland très apprécié par nos convives outre atlantique… ÖÖÖ !!! Des années de travail ont été nécessaires pour arriver à cette maîtrise du cri de gouelle…! Ces passages rendent l’attente moins longue, car les minutes sont interminables, et pourtant bientôt, le responsable World Archery viendra bientôt annoncer “This is your last end before we go”… Autrement dit, dernière volée, et c’est parti. Une vingtaine de minute avant le début du match, il nous appelle, mon adversaire indien Rajad Chauhan et moi. Lui, je le connais un peu maintenant, et malgré sa jeune expérience, il est un très bon tireur. Il l’a démontré parfaitement dans ce match de quart de finale, par sa maîtrise de l’évènement après son K.O. lors de sa finale individuelle pour l’or à Antalya, et par sa souplesse de tir. Rien n’est jamais gagné, ou perdu d’avance, et nous sommes tous capables de gagner cette finale. Je ne vais donc pas gagner parce que je suis numéro 1 mondial, car ça, c’est derrière moi. Je gagnerai si je trouve l’énergie et la précision pour être plus fort que mon adversaire, dans le présent. Thumbnail imageDure dure, cette mise en route, cash, sorti du lit, va tirer dans l’arène. Stress, sueurs froides, sueurs tout court dans cette étuve, punaise j’ai bien fait de tenter d’économiser un maximum d’énergie… Dès ce premier match, l’intensité était énorme, je ne pense pas en avoir connu une aussi forte déjà. L’indien fait son job, il tire bien, je commets des erreurs qui le conforte dans sa position d’outsider. Je ne fais pas exprès, mais je tremble tellement que je lutte pour tenir le viseur dans le jaune, ou ce que je distingue être jaune, ma vue est troublée. Un brin de lucidité est intact, pour tenir la barre au moins au niveau de mon adversaire jusqu’à cette dernière volée. Je tire la carte du jeu : je tire 30, et la pression sera sur lui. Il devait tirer la dernière flèche, et tire un 9, je gagne d’un point, 146 à 145… Mais quelle bataille, je prends conscience d’avoir déjà laissé beaucoup de cartouches dans ces premières quinze flèches. Le démon du “je peux très bien perdre au premier tour” après Paris et Tokyo rodait, alors qu’il est facile de tomber dans ce jeu néfaste et traître lorsque l’état de fatigue générale domine le reste. Double challenge, je dois gagner celui en face de moi, et celui à l’intérieur de moi.

Mes peurs sont domptées par ma joie, celle de passer en demie finale, cette fois, je ne serai pas sixième. Mais, je ne veux pas perdre les deux autres matchs, hors de question ! Au moins contre celui est à l’intérieur de moi… La mince affaire, deux américains et un hollandais, Wilde, Deaton, Elzinga sont de la bataille, ça va swinguer ! Peter Elzinga et moi sommes aussi des amis. C’est une personne que je respecte autant dans le sport que dans la vie. Il a gagné, et perdu, dans nos rencontres à répétition depuis 2007. La pression redevenait normale pour un évènement de cette envergure, et je contrôlais à nouveau mes jambes quelques minutes après le quart de finale. La coupure est de deux heures avant les prochaines flèches. Repas, sieste, ré-échauffement et re-arène. Cette fois, je suis confiant, ça ira mieux dans les jambes et dans les bras…Thumbnail image“Last end before we go” : et allez on y retourne ! Petit coucou aux supporters, j’entends la cloche, je prends mon arc et une fois que Peter eût tiré sa première flèche, c’était mon tour. Confiant, j’étais, et une fois armé, en visée, une seconde passa alors que la bougeotte intense revenait dans la fête : “Et merde, c’est r’parti” !!! Sentiment partagé entre le côté cocasse de cette pensée, et le doute qu’elle peut semer. Pensée parasite, que je tente de chasser pour faire de ce ressenti assez désagréable un allié qu’il faut choyer. J’écoute les encouragements, j’écoute le coach soufflant quelques mots-clé, je respire doucement et j’effectue chaque mouvement au ralenti. Eviter la casse : une flèche qui tombe de la lame, une flèche mal encochée, un décocheur mal pris en main ou sur le Dloop… Des façons de se vautrer, il y en a des tonnes ! Alors, je limite les risques par une attention très attentive, presque attentionnée. Le prix est que cela me coûte plus encore, et je dois puiser dans les réserves en raclant les bords.

Thumbnail imageLe match est serré, jusque-là, tout est sans surprise. Dans ce jeu, “on déroule” (même si c’est très péjoratif et minorant d’écrire cela) jusqu’à la dernière volée, le temps que la cocotte se mette sous pression. La dernière volée arrive et j’ai un point d’avance. Peter tire 20, je tire, X, puis 9 : “Crétin”… C’est pas bien d’ouvrir la porte PJ, pas bien du tout, ça va faire barrage… Et Peter tire son dernier 10 pour me refiler le package “La balle est dans ton camp”. Je tire un dernier 10 bien lucide, bien conscient, tout parfait sur du velours et je gagne le droit luxueux de tirer une seizième flèche dans cette magnifique arène. Cool !!! Match ex-aequo à 146 points. Peter est classé second de la coupe du Monde 2014, je suis troisième, il avait donc choisi de tirer en premier. Choix intéressant lorsque l’on parle de barrage, pour coller un 10 pleine bille dans les mirettes de son adversaire avant qu’il ne cherche à faire mieux, ou bien à faire de son mieux ! Il tire un 9 milieu de zone, en bas, une flèche partie trop vite sans doute. C’est à mon tour et la porte est grande ouverte, mon viseur est un peu bas le temps de me placer correctement et je vais chercher ma zone de réussite, floue, vraiment très floue… Il y a une finale de finale à la clé  quand même !!! Alors que je suis en place, et que je remonte ce satané point en balade dans le rouge, PPPAAANNN !   ——>  “MERDE” !   … Je ne vais pas masquer ce vilain mot alors que l’ensemble des tribunes l’a sans doute entendu, et ça enlèverai du charme à l’instant… 

Thumbnail imageCelle-là, elle m’aura bien pété à la tronche. Chanceux, ce coup-ci, d’avoir déjà initié la fonction “je remonte progressivement l’ensemble vers la zone et débrayant le prolongement et la confiance”, un tir normal et c’était perdu. Ce n’était pas un tir normal, mais un tir de barrage, celui où ce n’est pas la visée qui prime, mais la confiance. Au back tension, dans l’étuve et en fin de parcours de ce match, j’étais huileux, difficile de tenir mes ancrages. Le timing était donc complexe à appréhender avant que cette flèche ne vole. Elle touche le 9, je vois qu’elle semble plus proche que celui de Peter, ouf… L’arbitre confirme, et je suis en finale pour 5,1 mm selon le système Falco Eye (un cadre est posé sur la cible, et des capteurs mesurent la position de la flèche pour la confirmation du résultat en temps réel). On peut se dire que les scores de matchs n’étaient pas très élevés… C’est vrai, je m’attendais à des scores plus hauts aussi. C’était un aquarium de tir, très cloisonné, très stressant. Lorsque les conditions de tir sont parfaites et que l’enjeu est grand, nous avons tendance à nous sentir bouger de façon exponentielle. L’oeil est témoin de l’instabilité synonyme de pression, il donne l’information au reste du corps. La difficulté est de gérer ce phénomène pour rester précis au 10. Très mental, et très physique, la cadence est aussi infernale. En tir alterné, vingt secondes sont attribuées à chaque flèche avant de passer la main à l’adversaire. C’est très court, et ce temps n’est pas utilisé dans sa totalité, mais à 75% en général. L’avertisseur retentit toutes les quinze secondes en définitive.

Thumbnail imageTout est en accéléré, comme s’il s’agissait de tir par équipe ou presque. Encocher, essuyer sa main moite, assurer le grip, rectifier la position des doigts dans le décocheur, respirer et sentir l’air se renouveler en soi, laisser le temps au regard de matérialiser l’espace pour mieux se situer, rester attentif sur les instructions du coach, de l’arbitre ou du corps évènementiel, écouter le positif qui vient des tribunes pour profiter du temps présent, visualiser la préparation du tir. Vient ensuite l’engagement du tir dans le but d’atteindre le 10 : si toutes les étapes sont respectées, cette flèche sera un 10. Sinon, elle sera une flèche qui atteindra une zone proche du 10, avec le potentiel de le toucher sous conditions variées. C’est la construction de la confiance en soi qui est mise à rude épreuve dans ces finales. Les deux issues possibles sont la conviction, ou le hasard. La conviction est la réalisation parfaite s’appuyant sur les milliers de flèches tirées auparavant dans des contextes très différents : l’expérience. Le hasard est créé par l’évènement, son déroulement sous la probabilité des multiples contraintes  pouvant survenir (temps, tir alterné, médiatisation, public, météorologie, pression contextuelle). Il révèlera le niveau de confiance accordé à une flèche qui n’aura pas pu être préparée à 100%, mais tout de même tirée avec pugnacité sous les exigences de l’évènement : les automatismes. Je regrette que tout se passe si vite en finale, quelques secondes supplémentaires pourraient largement augmenter notre précision et l’intensité des matchs, et limiteraient aussi bien des scénarios indésirables. Quelque secondes pour vérifier les plumes et encoches des flèches nous revenant du pas de tir, retirées des cibles par les agents. Cela éviterait de jeter une flèche par terre pour en reprendre une autre, perdre quelques unes des vingt secondes imparties, et tomber dans un fonctionnement d’urgence. Cela limiterait aussi les flèches hors cibles lorsque les conditions sont dégradées, ces flèches hors cibles qui ne sont pas réellement du côté de la promotion visuelle de notre sport de précision. Cela ajouterait des images intéressantes sur la préparation du tir en plus de celles existantes de l’exécution du tir. 25” pour chaque flèche de la volée, 30” de plus entre chaque volée pour favoriser les instants qui font d’un match une “rencontre”, et quelques minutes après le match pour profiter de l’instant avec le public, surtout pour les matchs de médailles, pour mettre en lumière les différentes personnalités qui se trouvent derrière un arc ! C’est une des multiples possibilités d’évolution de notre discipline, certainement à venir à mesure où elles deviendront possibles.

Me voilà ainsi en finale, de la finale des finales… Quel bonheur ! 

Heureux, je suis aussi très inquiet : je suis exténué et je sais que j’ai beaucoup donné pour arriver là. Cela ne se résume pas seulement en trente et une flèches des deux matchs précédents, c’est toute une saison marquée par les coups qui s’achève. J’ai alors une cinquantaine de minute avant  le prochain “last end before we go”. Très court et très long… Pas le temps de me poser, sinon j’arriverai en robe de chambre sur la finale. Trop de temps pour rester sans rien faire et refroidir. Si je tire, je vais me fatiguer alors que déjà bien entamé, si je ne tire pas, je vais couper le lien et dégrader fortement mes sensations de tir. Je décide de tirer quelques flèches, en mode bras de poulpe, quasi sans visée. C’était le bon choix, car ces flèches étaient déjà dures, et je commençais à être inquiet sur les prochaines là-bas, dans l’arène. La lutte contre moi était ardue, et alors que je pensais à ma tronche, je m’interrogeais sur qui allait être mon prochain adversaire. Je pensais vraiment à une rebelote Wilde - Deloche, comme à Wroclaw. Lui aussi d’ailleurs… Mais c’est Bridger Deaton qui remporte la demie finale contre son compatriote américain. Bon, d’accord, mais je suis tout de même un peu déçu de ne pas retrouver Réo. Bon, reconfiguration rapide car de toute façon, mon plus gros problème n’est pas américain, il est français, et il s’appelle “moi” ! “Last end before we go”… Ouaip, mais cette fois, il l’a dit dans le vide ! Bridger était déjà sous la tente, dans l’attente, et je n’étais pas loin. Le dernier match de la journée arrive dans quelques minutes, le temps pour Réo de remporter le bronze face à Peter. Cela file à toute vitesse : alors que les archers du match précédent tirent leur dernière volée, nous sommes déjà dans les starting-blocks de ce portique bleu gonflable pour attendre notre entrée. Ils sortent, et nous rentrons par ordre de classement mondial, le plus haut en dernier. Thumbnail imageLa tremblote se calme, je rentre et je suis annoncé. Mais quel accueil !!! La cloche, les cris et encouragements, une vague d’applaudissements, c’était grandiose, merci pour ce témoignage. C’était superbe de vivre cela, encore une fois après Paris, après mes Nîmes, chacun de ces moments sont magnifiques, ils donnent tous les sens à ce qu’un sportif réalise, sur le terrain et en dehors, pour être et rester au top. 

Le match commence, 9 droite, pas loin, bon, c’est du réglage. Clic-clic, et 10. La troisième est tirée dans la douleur, 9 encore pas loin à gauche, et mince, ça pouvait prendre pourtant, ça m’agace !!! En face, il y a 30. Reste douze flèches pour faire la différence… Quatre points de retard à la seconde volée avec un nouveau 28 tiré dans la douleur. Constat : je n’ai plus de forces pour finir ma séquence de tir, il va gagner, mes réserves ne vont pas me permettre de tenir une cadence parfaite jusqu’au bout, le temps qu’il perde des points.

Thumbnail imageDeux solutions se profilent : soit finir le match par des flèches dégueulasses, soit finir par le largage pur et simple de tout ce qu’il me reste tout au fond de mes tripes. Je choisis la seconde, puisque je suis bâti sur ce modèle à ne jamais renoncer. Bien entendu, une case reste toujours en fonction dans le cas où l’adversaire se vautre littéralement me permettant de revenir au score, c’est implicite. Seulement voilà, je continue de perdre des points, après deux volées à 28, deux volées à 29 points. Incapable de trouver l’énergie pour tirer trois flèches, seulement pour deux, c’est réellement la fin du fond de réservoir et il faut jouer de l’embrayage pour avancer encore un peu jusqu’à la pompe. Dernière volée, cinq points de retard, je n’ai toujours pas fait de plein sur une volée, c’est le moment où les bras ne suffisent plus pour aider le corps à rester en course, tout, absolument tout est concentré sur la ligne de tir et sur l’architecture posturale pour tenir trois flèches. Trois dernières flèches de cette saison, si dure, si intense. Deux ou trois saisons même, car je n’ai jamais fait de pause depuis quelques années déjà, cette fois je sais que la coupure sera inévitable, et indispensable pour revenir. 

Thumbnail imageJ’ai tout donné sur ces trois dernières flèches, et je termine sur ce score parfait, les trois flèches superbes, prolongées, énergiques, explosives; tirées dans l’attitude confrontée entre arrogance et poésie. Ca y est, c’est terminé, mon adversaire l’emporte alors que je tape dans la main du coach, signe d’avoir terminé le boulot en y mettant toutes mes forces. C’est la première finale de finale de l’histoire du tir à l’arc français sur cet évènement. La médaille d’argent est une amertume certaine pour les francophones présents dans les tribunes et devant leurs écrans d’ordinateurs. Sentiment de courte durée, car cette place est un grand accomplissement, et signe de bien des victoires passées et à venir.

Thumbnail imageCette deuxième place a beaucoup de sens, et d’abord une victoire sur moi-même. J’ai réussi à dompter des peurs et de nombreux doutes en rapport avec ce que j’ai traversé cette année, et depuis de nombreuses années en arrière. Elle signifie que je ne suis pas encore au zénith de ma carrière, il en reste sous le pied. Cette marge de progression va me servir pour rebondir, trouver une stratégie de repos, et une stratégie nouvelle pour garder cette place de numéro un mondial. J’apprends à gagner, cela ne fait que deux ans que je remportais ma première médaille individuelle, et elle était la seule, jusqu’à cette année 2013. En finale des trois derniers plus gros évènements de 2013, j’ai rejoins la tête du classement mondial. Une fierté, mais aussi des leçons à apprendre. Le regard des autres est différents, leur pugnacité aussi, ce n’est pas facile d’être “l’homme à abattre” ! Je dois apprendre et tenir le rang, en même temps, et ça, c’est “chaud-patate”, surtout lorsque l’on est pas un sportif à plein temps, sur un vélo aux roues carrées et dans un brouillard épais.

Des finales, je n’en ai pas gagné tant que ça, et ce sont deux écoles différentes que les matchs jusqu’en finale, et les matchs de finale. 

Avant les arènes, ce sont des matchs à élimination directe, tirés en deux minutes pour trois flèches.

Dans les arènes, ce sont des matchs de médaille, tirés en une minute pour trois flèches, médiatisés.

La différence est de taille. Mon parcours se construit sur des bases solides, sur une expérience échelonnée par des objectifs précis à rejoindre à mesure où je suis prêt à les recevoir pour les mettre en application. J’apprenais à me classer dans le haut du tableau des qualifications, puis à battre des records. Ensuite est venu le temps d’appendre à gagner des matchs, puis des matchs contre de grands archers. J’ai voulu rejoindre les carrés de finales, être dans les quatre, et donc accepter aussi d’être quatrième. Je voulais gagner en régularité, pour pérenniser les acquis et l’expérience, monter dans le classement mondial. Chaque chose en son temps, à mesure où la vie fait son chemin.

Maintenant, je veux apprendre à gagner, tout court. Dans le tir à l’arc, à chaque nouvel essai, on doit systématiquement reprendre tout depuis le début, affaire tenace mêlée d'expérience et de patience. Le numéro 1 mondial n’est pas directement qualifié pour la finale, le premier des qualifications non plus, le champion du Monde en titre non plus, sans filet, aucune protection. Une seule règle : la volonté. Cette compétition met un terme à la saison 2014, et ouvre les portes de 2015. Quelques jours de repos étaient les bienvenus après toutes ces années non-stop. C'est reparti pour un tour, sans complainte, avec passion et envie, pour le plaisir d'aller à la rencontre de nouvelles étoiles, jusqu'au plaisir respectueux de pouvoir les tutoyer.

Cette semaine, j'irai passer deux jours chez Arc Système pour discuter de petites choses sympatoches, et la semaine prochaine je serai à l'INSEP pour cinq jours en mode "no limit". A venir, plein de belles choses qui mettent des petites étoiles dans les yeux, punaise, ça va être trop bon ! Merci pour tout cet immense soutien que vous me témoignez, et à très bientôt, pour ces nouveautés croustillantes ;-)

Crédits photos et liens galeries :

Jean-Denis GITTON @FFTA

Dean ALBERGA @WORLDARCHERY

Les vidéos Archery TV dans ma rubrique "Compétitions" !

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